Chapitre 14

 

Après Barbie, ce fut Brian qui appela et je choisis cette fois-ci de ne pas répondre. Je ne voulais pas discuter avec lui du meurtre de Cooper. Fut un temps, je me serais attendue qu’il soit choqué. À présent, je n’en étais plus si sûre. Qu’est-ce qui m’ennuierait le plus ? Que Brian m’en veuille d’avoir éventuellement joué un rôle dans la mort de Cooper ou qu’il prenne la défense des démons et approuve la nécessité de ce meurtre ? Je n’avais pas de réponse à cette question et je préférais ne pas y penser tant que je ne serais pas au pied du mur.

Après Brian, ce fut Andy. Je faillis répondre à cet appel. Andy avait été si effacé que la moindre tentative de contact était bonne à prendre. Mais finalement, j’esquivai aussi cette conversation. Il ne bondirait pas dans tous les sens ni ne hurlerait mais il serait… déçu. Même si je n’avais pas su ce que Raphael s’apprêtait à faire. Peut-être commencerait-il à se demander – comme c’était mon cas – si je n’aurais pas pu m’en douter et essayer d’intervenir. Après tout, j’avais été terriblement intriguée par la pitié dont avait fait preuve Raphael. Pourquoi n’en étais-je pas arrivée à la conclusion logique qu’il avait un autre tour dans son sac ?

Plus j’y pensais, plus je me trouvais naïve. J’aurais dû prévoir ce que Raphael allait faire. Il arrive que son esprit fonctionne d’une façon que je ne comprends pas mais, dans ce cas précis, il n’aurait pas été difficile de deviner ses intentions. Mon inconscient me protège parfois très bien de ce que je ne veux pas voir.

Super. Voilà que je ruminais comme Andy maintenant. C’était probablement une bonne idée de ne pas avoir répondu à son coup de fil, puisqu’il ne m’aurait pas aidé à me sentir mieux.

Le téléphone sonna encore une fois. C’était Adam. Lui, je pouvais supporter de lui parler – surtout que j’avais deux mots à lui dire. J’étais peut-être assez naïve pour ne pas deviner ce que Raphael tramait et Barbie ne le connaissait certainement pas suffisamment, mais c’était impossible qu’Adam ne l’ait pas vu venir.

Je décrochai tout en essayant de ne pas m’en vouloir pour n’avoir pas répondu à Brian ni à Andy.

— Tu étais au courant ? demandai-je en faisant passer à la trappe les salutations polies.

Je ne me sentais pas d’humeur et, de toute façon, Adam ne s’embarrassait jamais de civilités.

Il hésita un instant avant de répondre.

— Je n’en savais rien. Mais je ne suis pas vraiment surpris. Tu attendras un peu pour me hurler dessus. J’ai trouvé l’adresse que nous cherchions.

J’avais été tellement occupée à nourrir ma colère envers Raphael que j’avais presque oublié que nous avions soutiré quelques renseignements utiles à Cooper la nuit passée. Avant que Raphael retourne chez ce dernier et le tue.

Je secouai la tête pour me remettre les idées en place. La mort de Cooper était loin d’être la première à laquelle j’étais mêlée depuis que Lugh avait débarqué et, avec tous ces démons qui envahissaient la Plaine des mortels, je n’avais pas le temps de me morfondre.

— Génial. Alors nous allons rendre visite à notre ami ?

— Il semble que ce soit la chose à faire. Je passe te chercher devant ton immeuble vers 18 heures.

— Alors je vais être obligée de te hurler dessus dans la voiture ? Car ne compte pas sur moi pour passer l’éponge.

Ce serait plus simple d’avoir une bonne dispute s’il montait à mon appartement. Je ne tenais pas à ce qu’il emboutisse une autre voiture parce que je le distrayais.

— Si ça peut te faire plaisir. Raphael sera avec moi, je suppose que tu auras donc une cible plus attrayante.

— Non, dis-je presque en criant. Tu ne viens pas avec lui. Point final.

Adam émit un soupir de frustration.

— Bien sûr qu’il sera avec moi. Tu sais très bien pourquoi et ne m’oblige pas à te rappeler les raisons de sa présence au téléphone.

J’avais pas mal de choses à dire – et il n’était pas prudent d’en énoncer la moitié au téléphone.

— Si tu insistes pour l’amener, alors vous monterez tous les deux chez moi et nous nous livrerons à une petite séance d’autocritique avant d’aller rendre visite à notre ami. Compris ?

Jusqu’à présent, nous n’avions parlé qu’à trois personnes de l’afflux soudain de démons et ces trois personnes étaient mortes. C’était une tendance à laquelle je souhaitais mettre un terme au plus vite.

Un autre long soupir.

— Je vais voir ce que je peux faire. Mais si Raphael ne veut pas monter, je ne pourrai pas le contraindre. Tu le sais.

— Tu lui dis qu’il monte ou bien je ne descends pas.

Si je n’avais pas été également en colère contre Adam, j’aurais été désolée de le mettre dans cette situation. En fait, j’espérais bien que cela l’enquiquinait. Même s’il me semblait impossible de mettre Adam dans l’embarras.

— Très bien. Je vais lui dire. On se voit ce soir.

Adam me raccrocha au nez comme d’habitude. Le seul qui le faisait encore plus souvent que lui, c’était Raphael. Ce qui expliquait pourquoi je ne prenais pas la peine de l’appeler pour lui faire savoir ce que je pensais de lui.

Je n’imaginais pas qu’Adam ait beaucoup de mal à faire monter Raphael chez moi. Parfois, j’avais le sentiment que Raphael prenait vraiment plaisir à m’affronter, même si c’était seulement quand il gagnait. Il pouvait toujours croire qu’il allait être vainqueur ce soir, mais mon Taser était chargé à bloc et les chances étaient de mon côté.

 

Je quittai mon bureau après ma discussion avec Adam. J’avais fait plus de paperasse que je pouvais en supporter et j’étais perturbée au point de saboter mon travail. Je n’étais pas pressée de rentrer chez moi, où quiconque voulait me trouver y parviendrait, mais je ne me voyais pas non plus errer en ville en cette journée chaude et humide.

Il me restait encore trois heures à tuer avant l’arrivée d’Adam et Raphael qui allaient tous deux contribuer à rendre ma journée plus intéressante. Je pensais en profiter pour faire une sieste et rattraper le sommeil que j’avais en retard à cause de Lugh, mais une fois encore, j’avais oublié que Brian avait une clé – même si, pour ma défense, j’aurais pensé qu’il serait au bureau en cet après-midi de semaine. Apparemment, il avait considéré qu’il avait mieux à faire ce jour-là que gagner sa vie. Lorsque j’ouvris la porte d’entrée de mon appartement, je le découvris installé confortablement dans mon salon.

Il était encore en tenue de travail, mais la veste et la cravate de son costume étaient posées sur la causeuse et il avait roulé les manches de sa chemise jusqu’aux coudes. Les costumes et les chemises à manches longues ne sont vraiment pas faits pour être portés par plus de trente degrés, mais je ne connaissais pas de cabinets d’avocats où les employés n’étaient pas obligés d’en porter.

Brian avait également ôté ses chaussures et ses chaussettes et avait posé ses pieds nus sur ma table basse. Je ne mange pas souvent sur ma table basse, je ne sais donc pas pourquoi je n’aime pas que les gens y posent leurs pieds. Mais c’est ainsi et Brian le savait. Je fronçai les sourcils.

— Tu as trop fréquenté Raphael et Adam, dis-je à Brian. Je t’ai connu avec de meilleures manières.

D’accord, c’était un peu grossier comme façon d’accueillir mon petit ami et l’amour de ma vie mais, vu mon humeur, je n’étais pas capable de mieux.

Brian secoua la tête avant de se redresser et de poser les pieds par terre, là où était leur place.

— C’est tout ce que tu as à me dire ? demanda-t-il l’air terriblement déçu par mon attitude.

Je n’avais vraiment pas besoin de ça en ce moment.

— Je ne t’ai pas donné la clé de mon appartement pour que tu puisses débarquer chez moi et me hurler dessus quand tu en as envie.

Je laissai tomber mon sac à main sur le guéridon avec un peu plus de vigueur que nécessaire.

Il m’adressa un regard plein d’innocence.

— Tu estimes que je suis en train de te hurler dessus ?

Évidemment, il n’avait pas haussé le ton d’un poil.

Je me débarrassai de mes sandales que je laissai près de la porte mais, au lieu de rejoindre Brian dans le salon, je me dirigeai vers la cuisine. Mon appartement était assez petit et son agencement assez ouvert pour que nous puissions tout de même nous parler d’une pièce à l’autre. Malheureusement.

— Je suppose que les hurlements vont suivre, répondis-je par-dessus mon épaule.

Il faisait trop chaud pour boire du café, mais je procédai malgré tout à mon rituel.

J’entendis Brian se lever du canapé et se diriger vers moi. Je ne me retournai pas, concentrant toute mon attention sur l’action de séparer un filtre du paquet. Du coin de l’œil, je le vis s’appuyer à ce qui aurait été un montant de porte, si ma cuisine en avait comporté une.

— Pourquoi t’attends-tu toujours au pire avec moi ? demanda-t-il. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé la nuit dernière, mais je te connais trop bien pour croire que tu te caches derrière ce meurtre. Et dans le cas contraire, je ne suis vraiment pas en position de te jeter la pierre.

La colère que j’essayais de nourrir me fuyait peu à peu et mes épaules s’affaissèrent. Pendant toute ma vie, j’avais utilisé la colère pour me protéger de tout ce qui était désagréable. Avant de sortir avec Brian, il ne m’était jamais venu à l’esprit de changer cette attitude. La colère était – pour moi, au moins – beaucoup plus facile à gérer que la douleur, ou la peur, ou même la confusion.

Je frottai mes yeux soudain irrités et mis en place le filtre dans la cafetière. Mes réflexes de défense m’intimaient de remplir à présent le réservoir d’eau, ce qui me permettrait de ne pas regarder Brian. Je résistai et me tournai lentement vers lui en croisant les bras. Je pris aussitôt conscience que ma position était un autre réflexe de défense. Mais après tout, je pouvais au moins me permettre ça.

Une ombre que je n’avais jamais vue planait dans le regard de Brian. Je sus à quoi il pensait.

Nous avions été confrontés à un démon, connu sous le nom der Jäger, qui avait le pouvoir inhabituel de reconnaître et de pourchasser d’autres démons sur la Plaine des mortels. Dans des circonstances indépendantes de ma volonté, ce chasseur avait appris que j’hébergeais encore Lugh. Ce dernier et moi l’avions affronté et l’avions vaincu, mais nous ne pouvions nous permettre de le laisser repartir au Royaume des démons et annoncer à Dougal qui hébergeait Lugh. Qui que soit l’hôte de der Jäger ; la perspective de rôtir vif un être humain pour tuer un démon ne m’aurait pas réjouie. Mais der Jager avait pris pour hôte mon père – du moins, l’homme qui m’avait élevée, même s’il s’était avéré qu’il n’était pas mon père biologique. Je ne m’étais jamais vraiment entendue avec mon cher papa, mais en aucune façon je n’étais assez cruelle pour le tuer.

Pour résumer, Lugh avait pris le contrôle et Brian l’avait aidé à mettre en scène un accident de voiture dans lequel mon père était mort. D’après Brian, il avait dû choisir entre mon père et moi et il m’avait choisie. Mais aucun humain n’était capable d’une telle décision sans briser quelque chose en lui et Brian, avec son éthique de boy-scout, était certainement beaucoup plus bouleversé qu’il voulait bien me laisser voir.

C’était cependant ce qu’il me montrait à présent. J’apercevais l’ombre de l’horreur qui le hantait. Ma poitrine et ma gorge se serrèrent de douleur.

Sans réfléchir, je franchis les deux pas qui nous séparaient et le pris dans mes bras, collant mon visage contre son torse. Il m’enlaça et laissa échapper un long soupir vibrant.

Aucune parole ne pouvait apaiser sa douleur – aucune que je connaissais, du moins – et une partie de moi le détestait encore pour ce qu’il avait fait. Ce n’était pas une partie rationnelle certes, mais la raison règne rarement sur les émotions.

— Je ne savais pas que Raphael allait tuer Cooper, murmurai-je tout contre la poitrine de Brian. (J’éludais le véritable problème. L’esquive est une de mes activités préférées.) Rétrospectivement, je crois que j’aurais dû m’en douter. Mais je ne l’ai pas fait.

Brian me serra plus fort contre lui.

— Tout est toujours clair avec du recul.

Il fit remonter ses mains lentement le long de mon dos, dans mon cou, jusqu’à prendre mon visage en coupe, il glissa ses doigts dans mes cheveux. J’ai l’habitude de les ébouriffer avec du gel mais, ces derniers temps, je m’étais un peu calmée, ce dont Brian m’était sûrement reconnaissant.

Je relevai le menton et rencontrai sa bouche à mi-chemin. Ses lèvres étaient d’une chaleur familière contre les miennes et j’ouvris la bouche pour l’accueillir. Sa langue y plongea et j’émis un bruit incohérent de plaisir.

La voix de Lugh bourdonnait à l’arrière de mon esprit, me rappelant qu’il était là, qu’il ressentait tout ce que je ressentais, qu’il désirait Brian tout autant que moi. Me rappelant également qu’un problème beaucoup plus dangereux que la mort de Cooper se dressait entre nous.

À regret, je m’arrachai du baiser de Brian tout en gardant mes bras autour de son cou et mon corps collé au sien. Le désir assombrissait ses yeux. Il se passa la langue sur les lèvres pour y recueillir mon goût et je dus réprimer un grognement. Brian était capable de choses incroyables avec sa langue et mes hormones me hurlaient que c’était le moment idéal pour qu’il m’en fasse la démonstration. Je m’efforçai de refréner mon désir.

— Et Lugh ? murmurai-je.

Le feu se voila dans ses yeux et il posa son front contre le mien.

— Tu ne pouvais pas laisser tomber ?

Je secouai la tête sans briser le contact.

— Il ne me laissera pas faire. Maintenant qu’il a soulevé le problème, il ne lâchera pas le morceau tant que nous ne l’aurons pas accepté tous les deux.

Brian me lâcha et recula d’un pas pour mettre de l’espace entre nous. Cet unique pas me fit l’effet d’un coup de poignard en pleine poitrine. J’avais tellement œuvré pour garder Brian. Mes efforts auraient dû être récompensés s’il existait une justice en ce monde. Mais c’est une denrée rare et précieuse.

Brian évita mon regard mais ne recula pas davantage.

— As-tu réfléchi à ce que je t’ai suggéré l’autre jour ? demanda-t-il.

— Tu veux parler de trouver un nouvel hôte pour Lugh ?

Il baissa les yeux vers moi, avec un léger air de reproche. Bien sûr que c’était ce qu’il avait voulu dire – de quoi d’autre aurait-il pu parler ? Pourtant, pour des raisons que je ne comprenais pas trop, je désirais qu’il le dise à voix haute. J’affrontai son regard courroucé avec de l’obstination pure. Et Brian perdit le bras de fer visuel.

— Oui, je parle de la possibilité de trouver un nouvel hôte pour Lugh, dit-il.

Des images du rêve de la nuit passée avec Lugh me traversèrent l’esprit. La chaleur me monta aux joues et je me contraignis à chasser ces souvenirs. Conforter Brian dans sa jalousie était bien la dernière chose à laquelle j’aspirais. Malgré tout, il était trop observateur pour ne pas remarquer mon rougissement. Et trop intelligent pour ne pas comprendre ce que cela signifiait. Je fis de mon mieux pour détourner son attention.

— Après que tu m’as exposé ton idée, Lugh a cessé de me parler pendant un moment, dis-je sans être certaine qu’en parler à Brian était une manœuvre intelligente. Il m’a fait comprendre combien je m’étais habituée à sa présence en moi.

Une boule se forma dans ma gorge et je n’aurais su dire si c’était par peur de perdre Lugh, ou celle de perdre Brian. Peut-être les deux.

— Tu sais combien j’ai pu vivre de façon isolée, poursuivis-je. J’aimais ça, mais aujourd’hui… (Je haussai mes épaules tendues.) Aujourd’hui je ne suis pas sûre d’en être encore capable.

Brian me saisit les bras et les pressa fermement.

— Tu n’as pas à vivre seule dans ton coin, dit-il avec un air grave. Tu apprends à t’ouvrir aux autres et à les laisser entrer dans ta vie.

Je secouai la tête avant de choisir mes mots avec précaution.

— Je ne pense pas que je puisse vivre sans lui.

Brian ouvrit la bouche pour protester, mais je posai mes doigts sur ses lèvres pour le faire taire. Il n’avait aucune idée de l’influence que Lugh avait eue sur moi, à quel point il m’avait aidée à réparer les dégâts que j’avais causés dans ma relation avec Brian.

— Considère Lugh comme une paire de roulettes sur un vélo d’enfant, dis-je. Avec les roulettes, je fais du vélo comme une grande. Mais je ne suis pas encore prête à les enlever.

Brian recula encore d’un pas, la mine renfrognée.

— Tu l’utilises comme excuse pour m’empêcher de me rapprocher de toi.

Avant, Brian ne se mettait jamais en colère. Bon, peut-être pas jamais, mais presque jamais. Cela me rendait folle quand nous nous disputions. Le volume de ma voix avoisinait le bang supersonique, mes émotions bouillonnaient, et Brian répondait avec calme et logique. Il était comme un trou noir face à ma colère, il l’aspirait sans ciller. Me fréquenter l’avait changé, l’avait endurci. Je détestais ça.

— Ce n’est pas moi qui utilise Lugh comme une excuse, répondis-je tranquillement. Rien n’a changé pour moi depuis la dernière fois que nous avons fait l’amour. C’est toi qui me regardes différemment.

Son froncement de sourcils s’accentua.

— Tu penses vraiment que rien n’a changé ? Je t’ai demandé d’envisager de trouver un nouvel hôte pour Lugh et maintenant tu me dis que tu ne veux pas. Je suis censé l’accepter sans broncher ?

Face à la jalousie qui embrasait les yeux de Brian, je ne savais quoi répondre. Je ne pouvais même pas lui avouer qu’il n’avait aucune raison d’être jaloux de Lugh, puisque je lui aurais menti.

La pomme d’Adam de Brian remonta d’un coup quand il déglutit et je dus détourner les yeux devant l’expression douloureuse de son visage. Même si je détestais le voir souffrir, mon premier réflexe était toujours de m’emporter. Je m’étais un peu améliorée dernièrement sans que ma maîtrise soit parfaite.

— Il me semble me rappeler une époque où tu me reprochais de penser que tu étais jaloux, dis-je, toujours sans le regarder. Tu disais que je ne te faisais pas assez confiance. Je commence à croire que j’avais raison.

Brian émit un grognement de frustration.

— C’était à l’époque où Lugh essayait de te séduire. Je ne peux t’en vouloir pour ce que Lugh fait. Mais, là, ça ne concerne que toi.

Je redressai subitement la tête et ce n’était pas pour lever les yeux vers Brian. En fait, je voulais lui tourner le dos, juste au cas où les larmes qui menaçaient de poindre décidaient de se répandre. Mais quand je rencontrai enfin le regard de Brian, ce n’était pas moi qui regardais par mes yeux, mais Lugh. Et il était en colère.

— Je suis désolé si tu es malade ensuite, me dit-il, mais j’en ai assez entendu.

— Quoi ? fit Brian, en fronçant les sourcils, l’air intrigué, parce que, bien sûr, il n’avait pas compris ce qui s’était passé.

Lugh décroisa mes bras et fit un pas en direction de Brian, l’air décidé et menaçant.

— Que crois-tu que tu es en train de faire ? criai-je dans ma tête, mais Lugh n’en tint pas compte.

— Espèce de petit con égoïste, dit-il par ma bouche en jetant un regard furieux à Brian. Depuis le temps que tu t’acharnes sur Morgane pour qu’elle s’ouvre à toi et qu’elle n’ait pas peur que tu lui fasses du mal, maintenant qu’elle dit quelque chose que tu n’apprécies pas, tu lui claques la porte au nez.

Brian pâlit un peu. Je suppose qu’il avait enfin compris que ce n’était plus moi qui lui parlais.

— Lugh ? demanda-t-il d’un air hésitant.

Lugh ne prit pas la peine de lui répondre.

— As-tu réfléchi un seul instant à quoi tu lui demandais de renoncer ? demanda-t-il en tapotant du doigt suffisamment fort sur le torse de Brian pour que ce dernier recule. Si elle me garde en elle, elle profitera de tous les avantages que confère le fait d’être hôte de démon. Elle ne sera jamais malade – mis à part ces malaises inexpliqués qui se produisent après les changements de contrôle. Elle pourra guérir de toutes les blessures qui ne sont pas mortelles, et même de certaines qui devraient lui être fatales. Si elle se fait attaquer, je pourrai la protéger. Sans compter que je peux l’aider à dépasser certaines horreurs qu’elle a vécues. Après tout ce qu’elle a traversé, Morgane devrait souffrir de stress post-traumatique pour le restant de ses jours mais, grâce à moi, ce n’est pas le cas. Elle profite de tout cela, sans avoir à renoncer à son corps ni à sa vie. Et tu crois qu’elle devrait s’en priver uniquement parce que je te mets mal à l’aise ?

Brian était rarement à court de mots – ça tenait presque de l’instinct de survie chez un avocat –, mais le choc l’avait rendu muet. La bouche grande ouverte, il se tenait sur le seuil de la cuisine et frottait d’un air absent la partie du torse sur laquelle Lugh avait tapoté du doigt. Je me demandai s’il aurait un hématome.

Cependant, Brian ne resta pas sans voix longtemps. Je le vis se recomposer. Il redressa les épaules et releva le menton, les lignes de ses mâchoires saillant tant il serrait les dents. Puis il se pencha légèrement en avant, envahissant l’espace personnel de Lugh et, s’il s’était agi de quelqu’un d’autre que Brian, j’aurais cru qu’il s’apprêtait à lui balancer un coup de poing.

— Tu crois que tu es la meilleure chose qui soit arrivée à Morgane, c’est ça ? demanda Brian, sans qu’on puisse manquer la colère qui emplissait sa voix. À cause de toi, elle a failli périr sur un bûcher. À cause de toi, j’ai été kidnappé et torturé. À cause de toi, son père est mort. Et tout ça ne cessera que lorsque tu seras sorti une bonne fois pour toutes de notre vie. Alors ne me sers pas toutes tes conneries bien-pensantes, car nous savons tous les deux que tout ce que tu veux, c’est la sauter.

Intérieurement, je grimaçai. J’avais déjà vu Brian en colère mais pas comme ça. Pas sous l’emprise d’une fureur incontrôlée.

— Il est en colère parce qu’il sait que j’ai raison et il n’aime pas ça, me dit Lugh, sa voix mentale beaucoup plus calme que la mienne. N’oublie pas que je suis tout aussi content de te sauter qu’elle, lança Lugh à Brian avec un sourire vicieux.

Le visage de Brian, déjà rouge de rage, devint presque cramoisi, et ce dernier serra les poings de part et d’autre de son corps. Lugh croisa les bras sur sa poitrine… enfin, croisa les bras sur ma poitrine.

— Vas-y, frappe-moi si ça peut te soulager, dit Lugh. Morgane ne sentira rien.

Et pour des raisons que je ne compris pas, les épaules de Brian s’affaissèrent soudain et la colère s’évapora de son visage.

— Seigneur, dit-il en se frottant la tête à deux mains – certainement en guise d’exutoire à toute sa rage.

— Je l’ai souvent répété à Morgane, poursuivit Lugh, d’une voix beaucoup plus douce. Toi et moi ne sommes pas en compétition. Elle t’aime, Brian. Tu n’imagines pas le pouvoir que cela te donne sur elle et à quel point elle en est terrifiée. Je l’ai aidée à surmonter cette peur, tu sais que c’est vrai. Je ne suis pas ton adversaire et je ne suis certainement pas ton ennemi.

Brian avait l’air vaincu.

— Je suppose que je sais tout ça. C’est juste…

Il haussa les épaules. Je sentis un coin de ma bouche se soulever en un sourire narquois.

— Tu veux juste une preuve que s’il fallait choisir entre toi et moi, ce serait toi qu’elle choisirait.

Brian éclata de rire, mais c’était un rire nerveux.

— Ça paraît tellement puéril énoncé comme ça.

— Ça l’est ! eus-je envie de lui crier.

Il valait probablement mieux que Lugh soit aux commandes.

Il tendit ma main pour caresser tendrement la joue de Brian. Ce dernier sursauta à ce contact, apparemment sans savoir comment réagir. C’était, après tout, ma main. Seulement ce n’était pas moi qui la contrôlais.

— C’est toi que Morgane aime, dit Lugh, en effleurant le visage de Brian des doigts – mes doigts. Ne l’accule pas pour qu’elle te le prouve. Il y a des choses qu’il faut croire sur parole.

Brian s’écarta de Lugh sans que je perçoive ni rancœur ni dégoût dans son geste.

— J’ai compris. Maintenant, tu peux redonner le contrôle à Morgane ?

Lugh soupira.

— Si tu promets de mettre un terme à cette dispute et de nous soigner.

Brian faillit sourire, presque.

J’essayai de me préparer alors que Lugh s’effaçait au second plan pour me laisser la place du conducteur, mais la migraine battait déjà derrière mes yeux. Je m’effondrai en grognant dans les bras que me tendait Brian.

Péchés Capitaux
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